mercredi 15 mai 2013

Un héros des FAFL : le lieutenant Robert Gouby

En 1994, Jean-Marie Chirol, animateur du club Mémoires 52, consacrait un supplément de six pages, dans la publication «Dossier 52» n°8, au lieutenant aviateur Robert Gouby, Compagnon de la Libération originaire de Bourbonne-les-Bains, domicilié ensuite à Saint-Dizier. Ce texte étant aujourd'hui introuvable, en voici la teneur.

Quatrième enfant de la famille Gouby, Robert voit le jour aux confins de la Haute-Saône et de la Haute-Marne, à Vernois-sur-Mance, le 29 octobre 1919. Sept mois seulement après sa naissance, parents et enfants arrivent à Bourbonne-les-Bains pour reprendre le Café de l'Abattoir. En 1933, Robert est embauché chez un pâtissier de Bourbonne. Trois ans plus tard, il part à Besançon comme apprenti cuisinier, au Palais de la Bière, mais ne reste pas plus de sept mois à ce poste. C'est déjà l'aviation qui le hante. En effet, entre-temps, il écrit au président de l'Aéro-club de la Haute-Marne : Pierre Scordel, à Chaumont, pour connaître les lieux, en Haute-Marne, où l'on peut apprendre le pilotage d'avions. Début 1937, il répond à une offre d'emploi parue dans la presse départementale («emploi de garçon de café à Saint-Dizier»). C'est ainsi que Robert Gouby devient bragard, en qualité de garçon de café, au Commerce, dont le propriétaire est M. Chopin. 

Mais le véritable but de la venue de Robert, à Saint-Dizier, est d'apprendre à piloter. Il adhère immédiatement à la Section d'aviation populaire (SAP) et, pour une cotisation mensuelle de 5 F, suit chaque jour une à deux heures de cours avec André Aubry, le moniteur-chef de la SAP. Six mois plus tard, il obtient son premier brevet civil de pilote, puis aurait travaillé à l'usine de Marnaval. Robert Gouby est gâté en cette année 1937 : il obtient son premier brevet de pilotage et participe aux manifestations qui se déroulent à Saint-Dizier à l'occasion des deux journées de fêtes aériennes, qui réunissent 20 000 spectateurs. Dans le cadre de celles-ci, dimanche 13 juin 1937, la SAP dont il est membre reçoit son drapeau des mains du colonel Jannin, représentant le ministre de l'Air, Pierre Cot. René Fonck, «l'as des as» de 14-18, avec 75 victoires homologuées, est le parrain de la section de Saint-Dizier. Les vedettes du meeting sont Cavali et le Haut-Marnais Louis Massotte, de Torcenay (il se tuait deux jours plus tard au cours d'un vol d'essai au-dessus du terrain de Buc). Notons que le drapeau ne tombera pas entre les mains des Allemands. Le président de la SAP de Saint-Dizier, Geo Somers, le remet, le 8 mars 1941, à deux membres de la section qui partent rejoindre la France libre : Marcel Fuchs et Hubert Michel. Ils voulaient le faire flotter à Londres, terre d'accueil des FFL. Le destin en a décidé autrement. Les deux jeunes Bragards tomberont avant la fin du conflit dans les rangs du 1er régiment de chasseurs parachutistes, le caporal Hubert Michel en 1943 au Maroc, le sergent Fuchs à Colmar en février 1945... 

En mars 1938, Robert Gouby passe avec succès son deuxième brevet, à la SAP de Saint-Dizier, et s'engage pour trois ans dans l'armée de l'air, le 23 mai, à l'Intendance militaire de Chaumont. Après un court séjour à la base de Dijon, il est affecté au bataillon de l'air n°139 à Rayack (Syrie), où il arrive le 21 juillet. Après un séjour de huit mois au cours duquel il prépare le concours de l'Ecole d'Istres (qu'il réussit), Gouby est muté à Cazaux, le 8 avril 1939, au bataillon de l'air n°124, comme mitrailleur. Mais il veut être pilote ! A Bourges, en septembre 1939, en ce début de Drôle de guerre, il décroche son premier brevet de pilote militaire. Il est alors affecté au camp d'Avord (Cher) avec le grade de caporal-chef – promu sergent au printemps 1940. En mai 1940, le camp d'Avord est bombardé, l'unité du Haut-Marnais se replie à La Jame, près de La Rochelle. Gouby enrage de ne pouvoir être engagé contre l'ennemi... 

Début juillet 1940, il rejoint le Maroc puis parvient en Angleterre, le 18 juillet, un mois après l'Appel lancé par le général de Gaulle. Il s'engage dans la RAF à St-Othans-Odinham, le 22 juillet, et est muté à Camberley, le 10 février 1941. Le 16 mars 1942, il est promu adjudant et pilote un Spitfire V. Sa quatrième mission au-dessus des territoires occupés, il l'effectue le 2 novembre 1942. Au-dessus d'Abbeville (Somme), il dégage son commandant de groupe attaqué par plusieurs FW 190 et en abat un, obtenant une citation avec Croix de guerre et palme de bronze (il sert alors au 164 Squadron avant de passer au groupe de chasse des FAFL «Ile de France», dont il commandera ultérieurement la 2e escadrille). Le 1er décembre, il abat son deuxième FW 190. Seconde citation à l'ordre de l'armée de l'air, signée par le général Martial Vallin. Croix de guerre avec palme de bronze. Le 15 décembre, R. Gouby devient aspirant. En patrouille au-dessus de la Manche, le 15 janvier 1943, il abat son troisième FW 190 et en endommage un autre devant l'estuaire de la Somme : croix de guerre avec palme de bronze. Le 20 janvier, Robert Gouby ajoute deux victoires à son palmarès et une probable lors d'une attaque de l'aviation ennemie, en plein jour, sur Londres. 

Cinq jours après, il est fait chevalier de la Légion d'honneur et obtient une quatrième citation, le 15 février, à l'ordre des FFL, signée Charles de Gaulle, avec Croix de guerre et palme de vermeil. Sixième victoire au-dessus de la région de Saint-Omer (FW 190), le 9 mars, et septième succès le 14 mars. Citation à l'ordre de l'armée de l'air, le 25 mars, pour un nouveau FW 190 abattu et un autre endommagé. Le 26 novembre 1943, au cours d'un combat acharné, il détruit un FW 190 et en endommage un autre. Citation, Croix de guerre avec palme de bronze signée par le général Bouscat, chef d'état-major général de l'air. Le Haut-Marnais est fait officier de la Légion d'honneur, le 20 décembre. 

 Début avril 1944, Robert Gouby reçoit la plus haute distinction anglaise : la Distingued flying cross (DFC). Ce même mois, le 22, le quotidien Times annonce le prochain mariage de Robert Gouby avec Idina (Gisèle) Young, de Bath, dans le Sommerset (Grande-Bretagne). Idina appartient à la WAAF. Elle parle un excellent français. Sa mère est d'origine belge et elle-même a été élevée en Belgique. Le 19 juin 1944, en patrouille au-dessus de la Manche, Gouby obtient sa neuvième victoire (un FW 190) et une Croix de guerre avec palme de bronze. Et le lendemain, 20 juin, le mariage de Robert et d'Idina est célébré. Le témoin de Robert est le lieutenant de vaisseau Gilbert. Le général Martial Villemin est parmi les nombreuses personnalités françaises et anglaises présentes pour offrir leurs vœux aux jeunes époux. Ceux-ci passent ensemble 48 heures, à la fin du mois de juillet. Ce sera leur ultime rencontre. 

Le 14 août 1944, vers 13 h 30, un groupe d'avions alliés survole Rozoy-en-Brie (Seine-et-Marne). Apercevant un véhicule allemand, R. Gouby l'attaque en piqué mais l'aile gauche de son appareil accroche les fils électriques. L'avion plonge sur un pommier qu'il touche, se redresse et tombe à 300 m, à proximité du village de Vilbert où il s'écrase puis prend feu. Le corps du pilote est dégagé, après une heure d'efforts, par les membres de la Croix-Rouge et de la Défense passive. Ces personnes ont pu, à la barbe des Allemands arrivés en hâte, récupérer alliance et portefeuille contenant des papiers d'identité de Robert Gouby. Ses restes sont emmenés par un camion allemand et sont inhumés, sans indications permettant de l'identifier, à Coulommiers. Le transfert est effectué quelques mois après au cimetière de Solers (cimetière américain), en même temps que 17 corps d'aviateurs alliés. Enfin, le 15 juin 1946, ils reposent dans le cimetière de Villeneuve-Saint-Georges. 

Le 20 novembre 1944, Robert Gouby est fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, et la médaille de la Résistance avec rosette lui est décernée. En mars 1945, naîtra un fils posthume... En Haute-Marne, on se souvient de cet aviateur originaire du département : en 1946, une avenue à son nom est inaugurée à Bourbonne-les-Bains (qui accueille aujourd'hui une stèle qui lui est dédiée) ; en 1988, une plaque est apposée à Saint-Dizier, sur un immeuble du quartier de Gigny qui porte son nom, et dévoilée par André Gerbault, alors adjoint au maire (camarade de Robert Gouby à la SAP de Saint-Dizier), et le colonel Mennessier, commandant la BA 113. En 1947, un ouvrage de 120 pages a été consacré, par André Fontanel, au lieutenant Gouby («Images d'un héros»). 

  La photo qui illustre cet article provient de la collection de la sœur de ce héros.

lundi 6 mai 2013

Bertrand Châtel n'est plus

C'est un héros haut-marnais de la France libre qui vient de disparaître. Ami du club Mémoires 52, Bertrand Châtel s'en est en effet allé le 3 mai, à l'âge de 93 ans. Fils de Charles-Frédéric Châtel, il était le premier enfant d'une famille d'industriels du Territoire-de-Belfort à avoir vu le jour dans le petit village d'Ecot-la-Combe, en 1920. Frère du capitaine Jean Châtel, Bertrand a servi comme enseigne de vaisseau (lieutenant), chef de peloton, au sein du 1er régiment de fusiliers-marins de la 1ère division de la France libre, se battant en Italie et en France (où il est blessé). Il était alors sous les ordres du lieutenant de vaisseau Alain Savary, futur ministre de l'Education nationale de François Mitterrand. Epoux d'une jeune femme originaire de Dancevoir (canton d'Arc-en-Barrois), Bertrand Châtel, capitaine de corvette dans l'armée française, a passé ensuite une partie de sa vie aux Etats-Unis (au service de l'ONU), partageant sa retraite entre son appartement de New York, son domicile parisien et la porterie d'Ecôt-la-Combe à laquelle il est toujours resté attaché. Commandeur de la Légion d'honneur, il a eu l'honneur de rencontrer, il y a quelques années, le Président Obama lors d'une cérémonie en Normandie. Il était membre bienfaiteur du club Mémoires 52, comme plusieurs membres de sa famille. Nous l'avions revu avec plaisir à l'occasion des Journées du patrimoine à Ecôt, en septembre dernier. Les concerts de rythm n'blues et de jazz proposés dans les jardins du château par le club et l'association des Arts d'Ecot présidée par sa fille Marie-Hélène l'avaient ravi. A la famille de Bertrand Châtel, qui sera inhumé samedi dans son village natal, le club Mémoires 52 adresse ses plus sincères condoléances.

mercredi 1 mai 2013

Volontaires italiens dans la Résistance haut-marnaise

C'est le colonel de Grouchy, chef départemental FFI, qui rapporte, dans son journal de marche, la présence d'Italiens dans les maquis haut-marnais. Il indique qu'à la date du 20 août 1944, ont été pris en charge, dans la région de Bourmont, huit Italiens évadés du camp de prisonniers de Vittel (Vosges), parmi lesquels le général Baudino. Le rapport d'opérations du groupe de Soulaucourt-sur-Mouzon est un peu plus précis : il indique que ce détachement est composé d'un général, d'un capitaine, d'un lieutenant, de deux sous-lieutenants, un sergent, deux soldats et un commandant de marine. Une enquête est menée à leur sujet, et il apparaît que ces hommes sont "sûrs", cachés chez Mmes Chaffaut et Dubois jusqu'à leur entrée au maquis. Car le 1er septembre, ces hommes constituent une section d'Italiens, «avec les évadés de Vittel dont le nombre a augmenté». Equipée de mortiers, elle opère avec le groupe de Soulaucourt, rattaché aux FFI des Vosges, au sein d'une compagnie dont le commandement a été confié au lieutenant Thouvenin. Les prisonniers évadés participent, le 2 septembre, à la première libération de Neufchâteau, et le 24, ils «sont remis aux FFI de Neufchâteau pour rapatriement». Grâce à plusieurs sources italiennes (notamment « La Resistenza dei militari italiani all'estero : Francia e Corsica », 1995), nous possédons quelques précisions sur ces combattants transalpins dont l'histoire reste ici encore ignorée. Le général de brigade Carlo Baudino, originaire de Turin, né en 1890, commandait la 38e division d'infanterie « Puglia » engagée en Yougoslavie. Il a été capturé en 1943. Figurent également, parmi ces volontaires, les lieutenants Montauti, Mellucci et Jovacchini. En guise de complément, signalons que deux Italiens capturés par le FTPF haut-marnais, Nino Marzano et Renato Valle, ont servi dans les rangs du maquis Mauguet ; le premier a été blessé lors du combat de Chancenay, le 30 août 1944.