samedi 22 septembre 2012

Alfred Pioche, ce Bragard célébré par San Francisco

Son nom a été donné à une rue de San Francisco, à une ville et à un district du Nevada. Totalement inconnu dans sa ville natale, François-Louis-Alfred Pioche est considéré, en Californie, comme un artisan du développement de cette mégalopole (aujourd'hui la cinquième ville américaine en terme de population) dans la deuxième moitié du XIXe siècle. D'ailleurs, le consulat de France à San Francisco ne s'y est pas trompé en rendant hommage, par une plaque inaugurée en 1950, à l'oeuvre de ce Bragard.
Car F.-L.-A. Pioche – les Américains retiendront son troisième prénom Alfred - a vu le jour dans le populaire faubourg de La Noue à Saint-Dizier – et non à Paris comme l'écriront des biographes américains, et ainsi que le club Mémoires 52 l'a révélé en 2011 ! Son premier cri a été poussé le 30 juin 1817, au domicile d'Auguste-Henri-François-Léger Pioche, receveur à cheval des contributions indirectes, originaire de La Fère (Aisne), et d'Agathe-Stéphanie Martin. Par sa mère, le nouveau-né descend d'une illustre famille bragarde. Son arrière-grand-père, François Martin, était avocat en parlement à Saint-Dizier sous l'Ancien Régime. Son grand-père, Auguste-Joseph-François, y était négociant. Et un de ses parents, Jean-Baptiste-Isidore, était baron d'Empire, colonel de cuirassiers mutilé à Waterloo, futur maire de la cité bragarde. Marchant sur les pas de son père, Alfred Pioche travaille d'abord pour le ministère des Finances, avant d'être employé au consulat français au Chili. Là, il rencontre un Béarnais originaire d'Oloron-Sainte-Marie, Jules-Barthélémy Bayerque. Il lui parle de la Californie, ce nouvel Eldorado, où de l'or a été trouvé l'année précédente. Découverte qui a amené des milliers de Français à se ruer vers « Frisco », avant tout pour faire fortune, mais avec l'espoir de rentrer, riches, dans leur pays. C'est le cas de plusieurs Haut-Marnais, parmi lesquels le Langrois de Massey, à qui de nombreuses pages ont été consacrées dans notre ouvrage « Keskidees » co-écrit avec Didier Desnouvaux. Pioche a quelque « fortune » : il aurait, selon ses biographes américains, hérité du pécule laissé par un oncle décédé... Le 20 février 1849, il débarque, avec Bayerque, dans la rade de San Francisco. Le Bragard a 32 ans, l'avenir lui appartient. D'abord, Pioche est commerçant. Il ouvre un magasin à Clay Street, entre Kearny Street et Montgomery Street, qui propose des produits français. Si l'on en croit l'un des premiers historiens de la présence française en Californie, Daniel Lévy – né en Moselle en 1826, mort en 1910, il s'agit de l'ancien président de la Ligue nationale française à San Francisco, qui précisera que la population française en Californie est passée, de 1849 à 1851, d'une douzaine de personnes à presque 20 000 ! -, ce commerce est situé dans le côté Sud de cette rue qui a été victime d'un incendie en juin 1850. Ce qui ne semble pas empêcher Pioche de faire fortune grâce à cette activité. Le Bragard décide alors de se lancer dans l'activité bancaire. En 1851 ou 1852, il se rend en France, pour encourager ses compatriotes à investir dans l'état américain (au total, toujours selon Lévy, plus de 100 millions de francs seront consacrés par des Français à la Californie, entre 1850 et 1870). Fondateur, avec son ami béarnais, d'une société, la Pioche, Bayerque & Co (dont le fameux général nordiste Sherman fera état dans ses mémoires), a priori en 1855, il commande à l’artiste français Charles Meryon une série de gravures, réalisées à partir de daguerréotypes, afin de montrer San Francisco, où un consulat français s'installe dès 1850, comme une métropole d’avenir. Dans son édition de 1863, « La Gazette des Beaux-Arts » louera d'ailleurs la qualité d'une œuvre de Meryon, une vue panoramique de la cité californienne, où le portrait d'Alfred Pioche et celui de Bayerque figurent en médaillons. Lancé dans l'immobilier, Pioche achète des terres dans le quartier dit de « La Mission ». Autre secteur géographique dans lequel il investit : la Hayes Valley. En 1949, dans son étude « Notre Californie. Le guide franco-californien du centenaire », Jéhane Biétry-Salinger rapportera qu'en 1859, la maison Pioche et Bayerque ouvrit un grand chantier pour le déboisement et le percement des rues de ce quartier, aujourd'hui l'un des plus typiques de San Francisco. Puis Pioche s’illustre dans une autre entreprise, ainsi que le raconte, dès 1867, Ernest Frignet, dans « La Californie : histoire des progrès de l’un des Etats-Unis d’Amérique » : « C’est à l’intelligence (sic) initiative d’un capitaliste français qu’on doit l’introduction en Californie de l’industrie des chemins de fer. M. Pioche (de la maison Pioche et Bayerque) dont le concours n’avait pas fait défaut lors de la fondation de la Société du gaz de San Francisco et de la Compagnie des eaux de la ville (Spring Valley Water Works) obtint, en 1857, pour lui et ses partners (sic), la concession d’un chemin de fer… » Cette ligne urbaine, dite « Market Street Railroad », sera inaugurée en 1860. On le voit : dès 1867, alors que le Haut-Marnais n'a que 50 ans, Pioche est cité en exemple parmi les Français de « Frisco ». Moins de deux décennies plus tard, Daniel Lévy brossera un portrait plus nuancé du Bragard, dans son ouvrage très documenté « Les Français et la Californie », paru en 1884 : « M. Pioche arriva du Chili à San Francisco en 1849. Il ouvrit d'abord une maison de banque et de consignation. Puis, dans une mission qu'il fit en France, il recueillit des fonds considérables avec lesquels il revint établir une grande maison d'affaires. C'était un homme qui joignait le goût des grandes entreprises à l'amour des beaux-arts et aux plus généreux sentiments du cœur. Artiste lui-même, très instruit, Français jusqu'au bout des ongles, il avait malheureusement le caractère faible, et se laissait facilement influencer par une foule de parasites qui l'exploitaient. Il manquait aussi de ce jugement droit et solide, qui fait le véritable homme d'affaires. Maniant à pleines mains l'or qui lui était confié, il se lança à perte de vue dans des entreprises colossales. C'est à lui qu'on doit les deux premiers chemins de fer de ce pays : celui de Sacramento à Folsom, et celui de la rue Market, à San Francisco. Il fit exécuter, dans le comté de Nevada, des réseaux de canaux pour l'exploitation des mines, et de grands travaux à l'hydraulique sans pareils alors. Il attacha son nom au chef-lieu d'un comté qu'il contribua plus que tout autre à peupler et enrichir. Il fit construire des wharfs (sic) (ndr : des quais) et les premiers entrepôts de San Francisco. L'agriculture et l'élevage reçurent aussi de lui de précieux encouragements. En un mot, partout où il s'agissait d'imprimer une forte impulsion à des œuvres grandes et utiles au pays, se montrait la main de Pioche, répandant à flot l'argent français. (…) Une crise prolongée amena une dépréciation énorme des valeurs mobilières et immobilières dans lesquelles il avait tout engagé. Poussé par les demandes de remboursement des milliers de compatriotes à qui, de bonne fois, il avait fait les plus brillantes promesses, il se laissa aller au découragement et succomba à ses remords. Un matin – le 2 mai 1872 – on le trouva sans vie, tenant encore dans sa main crispée le pistolet avec lequel il venait de metttre fin à sa carrière ». Revenons sur quelques points évoqués par Daniel Lévy. Le Nevada ? Lorsque de l’argent fut découvert dans cet état, en 1859, il se produisit une fièvre comparable à celle qui secoua la Californie avec l’or. Pioche ne rata pas l’occasion : il y envoya des collaborateurs, qui découvrirent ce précieux métal, vers 1869, dans le district qui portera rapidement son nom – dès 1874, des revues françaises parlent du site de Pioche, aujourd’hui encore considéré comme l’une des villes les plus pittoresques du Nevada. Le transport  ferroviaire ? Pioche était en effet le président de la Sacramento Valley Railroad Company, qui relia en 1866 Folsom à Sacramento, soit 22 miles (35 km). La générosité ? L'University of California reçut de nombreux ouvrages en français offerts par le Haut-Marnais. On écrira encore que Pioche, qui s'est lancé également dans l’exploitation d’une eau minérale dont la source a été découverte près de San Jose, était par ailleurs un amateur d’art, un épicurien qui fit venir des chefs français à San Francisco, et un citoyen soucieux du bien-être des habitants de cette ville. Telle est l'image que laissera ce banquier et financier né à Saint-Dizier qui, mort tragiquement il y a 140 ans, fait partie intégrante de l'histoire de San Francisco, et à qui, depuis plusieurs années, des ouvrages, tant français qu'américains, rendent justice... (A lire également l'article, en anglais, avec portrait, que Charles A. Fracchia a consacré à F.-L.-A. Pioche, considéré comme né en France en 1818 (sic), dans the Encyclopedia of San Francisco). L'image qui illustre cet article provient de la Bibliothèque nationale de France. Il s'agit d'une vue de San Francisco signée de l'artiste Meryon.

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