jeudi 16 septembre 2010

Un général nordiste d'origine haut-marnaise



Le général Richard Franchot. Son père est né à Chamouilley. (Photo issue du site allemand Big.country consacré aux généraux américains).

Il n’est pas rare, en se penchant sur des pages d’histoire de l’humanité, de croiser la trace d’un Haut-Marnais là où on ne l’attendrait pas forcément. Les exemples ne manquent pas.
C’est le fils du conseiller général langrois Du Breuil de Saint-Germain qui se bat aux côtés des Boers en Afrique du sud…
C’est le père Bouillevaux, de Montier-en-Der, qui, premier occidental, visite le temple d’Angkhor…
C’est un officier chaumontais, le capitaine Lindecker, qui le premier voit Pékin du ciel…
Ce sont encore des militaires qui se battent aux quatre coins de la planète, au Mexique, à Madagascar, au Soudan, etc.

Récemment, nous avons retrouvé la trace d’un enfant de Serqueux ayant combattu comme sergent dans les rangs de l’armée nordiste, durant la Guerre de sécession ! Une page d’histoire, parmi d’autres, qui vous sera révélée ultérieurement grâce à un travail de recherches mené actuellement avec une connaissance des lecteurs de ce blog, Didier Desnouveaux…

En attendant, nous vous livrons ici l’histoire d’un fils de Haut-Marnais devenu, lui, général de brigade dans l’armée nordiste ! Son nom évoquera bien des souvenirs aux familiers des environs de Saint-Dizier : il s’appelle Franchot, patronyme associé aux étangs situés près d’Ancerville.

A l’origine, il y a Charles Franchot, propriétaire sous l’Ancien Régime des forges de Chamouilley. Epoux notamment de Marie-Gabriel Richard, il a eu une descendance fort importante : 21 enfants, au total, dont beaucoup mourront en bas âge. Parmi ses fils : Stanislas-Paschal Franchot, né à Chamouilley le 30 mars 1774. Son parrain est « maistre » Pierre-Charles Guillaume, greffier dans l’administration des Eaux et forêts, et sa marraine Jeanne Franchot. C’est ce Stanislas-Paschal qui nous intéressera.

Signalons d’abord que ce Charles Franchot a un frère établi maître de forges à Haironville (Meuse), Jean-Baptiste. Ce dernier est notamment père de deux personnalités meusiennes :
. Charles-Antoine, né à Haironville le 22 janvier 1769, d’ailleurs filleul de Charles. Lieutenant au 3e bataillon de la Meuse (novembre 1791), il sera promu chef de bataillon dans la 43e demi-brigade de ligne en l’an XII, puis passera dans les grenadiers de la Garde en 1807, avant d’être admis à la retraite en novembre 1809. Le colonel Franchot reprendra du service le 25 décembre 1813 comme gouverneur de place. Retiré semble-t-il à Ancerville, il mourra en 1839 à Mézières, dans les Ardennes.
. Charles-François, né à Ancerville en 1778, sera membre du conseil d’arrondissement de Bar-le-Duc en 1809 et décédera à l’âge de 68 ans. Son fils Aimé sera maire d’Ancerville.
Autre parenté intéressante : Charles Franchot est l’aïeul maternel du futur académicien Charles Etienne, fameux homme de lettres né à Chamouilley en 1777.

Revenons à Charles, le maître des forges de Chamouilley. Veuf, ayant fait faillite, il part, au début de la Révolution, aux Etats-Unis, avec ses enfants survivants ! A priori, il est accompagné d’Augustin, né à Chamouilley le 13 juillet 1759, de Louis, né le 23 juin 1763, de Paschal, l’avant-dernier... Il s’installe dans le comté d’Otsego, Etat de New-York, au lieu-dit Louisville, aujourd’hui ville de Morris. Le premier magasin de Louisville appartient d’ailleurs aux Franchot, puis la première usine. Si Charles retournera en France (nous ignorons la suite de sa vie), son fils Stanislas-Paschal restera à Morris (Augustin, avant 1793, et Louis y sont morts entretemps).

Marié à Catherine Hansen, mort en 1855, Stanislas-Paschal est le père de Richard Franchot, né le 2 juin 1816 à Morris. Lui qui a fait des études de génie civil sera élu républicain au Congrès (1861) et obtiendra, à l’été 1862, l’autorisation de recruter et commander, comme colonel, le 121st New-York volunteers, formé dans les comtés d’Otsego et d’Herkimer. Il sera très peu de temps à sa tête et laissera le commandement au colonel Upon. Ce qui n’empêchera pas Franchot, qui selon un de ses officiers n’a pris part à aucune bataille, d’être promu général de brigade de volontaires nordistes le 13 mars 1865, à 49 ans ! Associé ensuite avec le Central pacific railroad, il meurt dix ans plus tard.

A noter que, parmi les descendants de la famille Franchot, figure un célèbre acteur – certes aujourd’hui oublié – américain, Franchot Tone, époux de Joan Crawford, et dont le nom a été donné à une étoile du fameux Hollywood boulevard.

vendredi 3 septembre 2010

Le récit d'un évadé du train de Neuengamme récemment identifié



La fausse carte d'identité d'Emmanuel Lalanne (document communiqué par la famille Sierra, que nous remercions bien sincèrement).


Notre article sur l’évasion de 45 déportés (pour Neuengamme) dans la Marne, entre Châlons-en-Champagne et Vitry-le-François, dans la nuit du 4 au 5 juin 1944, a suscité l’intérêt de Philippe et Régis Sierra. Et pour cause : leur grand-père a fait partie de ce groupe. Mieux : celui-ci a consigné par écrit un récit de cette évasion, paru en 1999 dans la gazette du Groupe cyclotouriste agenais. Ce témoignage, mis en forme par Philippe Sierra, s’ajoute aujourd’hui à ceux qu’avait pu recueillir Jean-Marie Chirol, avant la parution de son ouvrage en 1996. Le fondateur du club Mémoires 52 savait uniquement, à cette date, qu’un des évadés, le lieutenant Jocteur-Monrozier, avait sauté en compagnie de deux Agenais, Lalanne et Galand, et qu’il ignorait leur destin (lui-même étant allé rencontrer un prêtre de Vitry-le-François). Voici celui d’un d’entre eux…

Emmanuel Lalanne (1910-1992) a été arrêté le 30 janvier 1944, à l’occasion des obsèques d’un résistant du Lot-et-Garonne, Gérard Duverger, alias « Chevalier ». Emprisonné à la prison d’Agen où il a été torturé, transféré à la prison Saint-Michel à Toulouse, il a été ensuite dirigé sur Compiègne-Royallieu, anti-chambre de la Déportation.

Voilà ce qu’Emmanuel Lalanne rapporte des circonstances de son évasion : « Un officier allemand nous avertit que si nous tentons une évasion, nous serons repris et fusillés. Or, la veille, nous savions qu’il y aurait une tentative d’évasion, comme en avait décidé un prêtre de la région parsienne (mais une quarantaine de prisoniers le savaient seulement) (Note : l’abbé Le Meur). Au cours de la nuit, nous essayons donc de scier le plancher du wagon (pour y faire un trou pour pouvoir s’échapper). Mais nous devons vite nous arrêter, une poutre de fer apparaît qui ruine nos espérances. Alors nous nous attaquons au verrou de la porte (…). Le verrou cède. L’évasion peut commencer. Le train étant toujours en marche, nous devons sauter chacun notre tour. Nous avions convenu de nous retrouver par équipe de trois, le premier ayant sauté (s’il n’était pas blessé) devait avancer pour rejoindre le deuxième qu resterait sur place, le troisième revenant en arrière (rejoindre le deuxième). Pour ma part, il est convenu que je saute en second, cependant je saute à la place du premier car celui-ci prend peur et n’ose pas. Le train va vite, le jour commence à se lever, nous sommes les 5 juin. Pour sauter on doit s’allonger (sur le dos) sur la marche (le marche-pid), les pieds en avant et se laisser tomber en position horizontale afin d’amortir la chute. Cependant le temps presse et je me lance debout. Je roule sur quelques mètres au sol, sans trop me blesser. Je n’ai que quelques égratignures au visage et au genou gauche. J’attends que le dernier wagon du train me dépasse pour me relever afin de rejoindre celui qui a sauté après moi. Mais soudain, j’aperçois la silhouette d’une personne avec un fusil à la main, ce qui m’oblige à me cacher un instant dans un fossé, puis à abandonner la ligne de chemin de fer pour un talus bordé d’une petite route. Le jour levé, je vois un peu plus loin un panneau, m’indiquant la proximité de Vitry-le-François. Puis j’aperçois trois silhouettes en direction du village. Aussi, je me cache en contrebas de la route afin de les voir arriver ; soudain je reconnais l’une d’elles. C’est Galant, un évadé comme moi. »
Cet évadé semble correspondre à Georges Galan, recensé – sans plus de précision - par le Livre-mémorial de la Déportation, et au sujet duquel Jean-Marie Chirol ne possédait pas de renseignements.

« J’attends qu’ils m’aient légèrement dépassé, puis siffle pour les interpeller, poursuit Emmanuel Lalanne. Ils sont à Vitry afin d’y trouver assistance auprès du curé ou de l’instituteur (avec précaution). L’un d’eux va rester avec moi pour attendre du secours, les deux autres allant à la première messe et s’adressant au curé (Note : parmi eux, Jocteur-Monrozier, qui ne se souvient pas avoir été accompagné). Celui-ci leur indique une adresse où trouver de l’aide et en effet, ils se retrouvent abrités chez une dame. Deux ou trois heures après, deux cyclistes viennent nous trouver, nous apportant un petit-déjeuner. »
Selon M. Lalanne, c’est dans une ferme de Vitry-en-Perthois qu’il trouve d’abord asile, puis, après dénonciation, à Moncez-L’Abbaye (canton de Thiéblemont-Farémont), enfin à Donnement, dans l’Aube toute proche, où il reste jusqu’à la Libération. Parmi les patriotes qui lui ont porté secours, Emmanuel Lalanne se souvient des noms de M. Boyer et de Mme Doré. Aucun d’eux n’apparaît dans les travaux de Jean-Marie Chirol.

C’est ensuite à vélo qu’Emmanuel Lalanne regagne le Sud de la France, début septembre 1944.

Sources : témoignage de M. Lalanne recueilli et mis en forme par Philippe Sierra, aimablement communiqué (avec des documents) par Régis Sierra, de Poitiers ; « Sur les chemins de l’enfer », Jean-Marie Chirol, 1996 ; Livre-mémorial de la Déportation.