jeudi 13 mai 2010

"J'ai 18 ans, je meurs pour la France"





Luc et Roland Garnier (Collection CM 52).

Les lettres de condamnés à mort français, sous l’Occupation, qui sont parvenues à la connaissance de leurs contemporains et des générations futures, sont particulièrement édifiantes. Elles respirent généralement le patriotisme, la foi en la Victoire, l’amour des siens.

Celle d’un jeune Chaumontais de 18 ans, Luc Garnier, mérite d’être mieux connue. Membre, comme son frère aîné Roland, du groupe Corse, relevant des Francs-tireurs et partisans français (organisation de Résistance armée d’obédience communiste), il figurait parmi les onze patriotes condamnés à mort par la justice militaire allemande et fusillés samedi 18 mars 1944, entre 7 h 15 et 7 h 30, sur la butte de tir de La Vendue, à la sortie de Chaumont en direction de Neuilly-sur-Suize.

L’ultime courrier du jeune homme, rédigé ce jour-là à 6 h, depuis sa cellule de la prison du Val-Barizien, a été communiqué pour la postérité par la grand-mère des deux martyrs (une copie appartient aux archives du club Mémoires 52).

Lisons, écoutons les derniers mots de Luc Garnier :


« Chers parents,
Mes dernières pensées sont pour vous et pour une petite fille qui habite près de l’hôtel Saint-Jean et travaille à la poste, je l’appelle Jacqueline.
V.I.V.E. la France.
Je pense bien à l’abbé Bour et qu’il se rappelle bien de mes paroles de la dernière fois, lui aussi je l’aimais. A Dieu le vrai jugement, c’est près de Dieu. 
J’offre ma vie à Dieu pour la JOC de Chaumont. Je pense toujours à mes parents et à tous les Français. J’ai voulu faire mon devoir de Français et je l’ai fait jusqu’à la dernière minute de ma vie, j’ai 18 ans je meurs pour la France. Devant les fusils je crie vive ma patrie, que Dieu la protège.
Mes chers parents n’oubliez jamais vos fils qui meurent pour sauver l’honneur de la France et surtout n’oubliez jamais Dieu.
Je meurs avec mon frère Roland que j’aimais tant, et les camarades. Avant de mourir je vais les encourager devant la mort.
Un fils qui vous a toujours aimé et qui demande pardon des petites fautes de sa vie. Après ma mort ne pleurez pas car vous aurez l’honneur de vos deux fils aimés.
Bon courage, je prierai pour vous près de Dieu.
Ma chère mère, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mon papa et tous mes camarades Français.
Que la France n’oublie jamais ses patriotes du groupe Corse.
Vive France d’abord et ne les oubliez jamais. »


Même tonalité – l’amour des siens, de Dieu – dans le courrier que Roland, le frère, adresse à sa grand-mère. Quelques phrases à retenir : « Cher mémère, je viens par cette lettre te donner la nouvelle que je suis exécuté ce matin à 7 h… Il faudra venir chercher nos habits… Embrasse tes fils fusillés il faut leur dire que nous n’avons pas fait de victimes… Il fallait bien que cela finisse un jour comme un autre… Nous sommes victimes d’un fou. »

Quelques remarques sur ces deux lettres très émouvantes. Membres des FTPF, Luc et Roland Garnier sont profondément catholiques. Ils étaient adhérents chaumontais du mouvement de la Jeunesse ouvrière chrétienne (Jean-Marie Chirol a consacré deux études à ce mouvement). Ainsi, Luc n’oublie pas, dans sa lettre, l’abbé Bour, qui était curé à Villiers-le-Sec. Quant à « France d’abord », formule qui conclut ce courrier, c’est la devise du groupe Corse.

Que savons-nous, finalement, de ces deux jeunes héros ? Peu de choses, en vérité. Luc Garnier est né le 17 novembre 1925 à Roôcourt-la-Côte (aujourd’hui commune associée à Bologne), son frère Roland le 23 novembre 1923, dans le même village. Ils sont les fils de René Garnier qui est né le 24 décembre 1897 à Châlons-sur-Marne, et qui est qualifié de fabricant de jouets.

La famille Garnier vit à l’écart de Chaumont, au lieu-dit Chaumont-Garage, à proximité d’un passage à niveau de la ligne Paris-Bâle (secteur aujourd’hui occupé par la zone d’activités de La Dame-Huguenotte, où d’ailleurs une rue perpétue le souvenir des deux martyrs).

Dans un « compte-rendu détaillé » de ses activités depuis 1940 à la Libération, René Garnier précise que dès janvier 1940, avec son fils aîné Roland, il a été volontaire « pour effectuer les travaux d’établissement de routes reliant les ouvrages de défense, les hôpitaux, etc., sur la frontière luxembourgeoise jusqu’au 10 mai 1940. » Puis il indique que Roland a été désigné pour le STO mais qu’il s’y est soustrait.

1943 correspond à l’engagement des deux frères dans la Résistance. Il rejoignent donc le groupe Corse qui se constitue surtout avec des employés SNCF de Chaumont. Un groupe qui était en liaison avec Jules Didier (alias « Mercier »), responsable du Front national de lutte pour la France dans la Haute-Marne, et qui était sous les ordrres d'un Lorrain, Gabriel Szymkowiak, alias « Bacchus », commissaire régional FTPF.

Quelles furent les activités des deux frères ? Elles sont rapportées par Jean-Marie Chirol (dans son étude inédite sur le maquis Mauguet et le Front national), selon qui leurs actions auraient été inscrites par Roland Garnier sur le mur de la cellule n°4 de la prison du Val-Barizien :

« France d’abord ! Le 25 décembre, attentat contre le dépôt, cinq jours plus tard minage du pont de Bologne, aucun résultat. 2 janvier, minage du pont de Condes avec un obus de 155, entièrement détruit, avec cinq mois de réparations. Quelques jours après, deux déraillements sur la ligne de St-Dizier, le premier 2 rails coupés et 3 Feldgendarmes tués, train stoppé pendant huit heures, avec camions endommagés, fils téléphoniques coupés ; le lendemain, au même endroit, pont de Jonchery : 2 rails décollés, fils coupés, train stoppé pendant six heures. Quelques jours suivants un des agents de chez nous (13/1) se fait arrêter avec un camarade de l’inter-région, avec tous les renseignements et en plus les noms des francs-tireurs combattants, alors eurent lieu 25 arrestations faute d’un Français imprévoyant. Bacchus, tu nous a vendus ».

Petit retour en arrière. L’attentat « contre le dépôt » correspond au sabotage de la grue de 30 tonnes du dépôt SNCF de Chaumont, à Noël 1943. Deux semaines plus tard, intervient la double arrestation évoquée par Roland Garnier. « Le 13 janvier 1944, écrit Jean-Marie Chirol, G. S. (Note : Gabriel Szymkowiak) roule à bicyclette en direction du musée de Chaumont où il doit rencontrer le chef inter-régional FTP venant de Besançon (rendez-vous fixé par ce dernier). A proximité du lieu de rendez-vous, G.S. est arrêté par un civil… alors que d’autres surgissent. G.S. tombe ainsi dans les griffes de la Gestapo. »

Cette capture a de funestes conséquences. Car s’ensuit un important coup de filet dans la Résistance chaumontaise, tant parmi les membres du groupe Corse que dans les rangs de celui commandé par Georges Debernardi (rattaché à l’OCM, en liaison avec le BOA). Luc et son père René ont été arrêtés dès le 14 janvier 1944, son frère Roland trois jours plus tard.

Szymkowiak - qui sera exécuté par les Français, à Dijon, après la Libération - comparaîtra « pour des raisons particulières » (dixit le même acte) en qualité de témoin, et non d’accusé, devant la justice allemande. Il ne sera donc pas condamné à mort avec ses camarades, ni même emprisonné. Pis ! Il sera au service de la Sipo-SD et sévira dans d’autres secteurs du département avec le fameux « Totor » - un Bragard. Les résistants haut-marnais, et notamment ceux qui ont été déportés à la suite des néfastes activités de « Bacchus » et « Totor », le désigneront comme un traître convaincu. Jean-Marie Chirol, plus nuancé, pense que ce sont les tortures et les menaces de représailles sur sa famille restée en Lorraine qui auront pour conséquence le retournement d’un « résistant authentique » en un « lâche » - nous n’épiloguerons pas sur ce point.

Le procès des patriotes, préparé par le tribunal de la feldkommandantur 769, présidé par l’oberst Luyken, est programmé le 8 mars. L’acte d’accusation est connu : il a été publié, après la guerre, par L. Hutinet, dans son « Livre d’or de la Résistance haut-marnaise ». L’on y apprend notamment que Roland Garnier, alias « Jim », et son frère Luc, alias « Max », sont accusés d’avoir participé au vol d’explosifs dans la carrière de Reclancourt, en décembre 1943, et d’être les auteurs de l’attaque armée d’un bureau de tabac à Richebourg, le 1er janvier 1944. L’acte n’omet pas de citer les sabotages réussis ou manqués d’ouvrages sur le canal et sur la ligne Paris-Bâle évoqués par Roland.

Le verdict tombe : seize patriotes sont condamnés à mort. Quatre verront cette peine capitale commuée en déportation. Un autre se suicidera dans sa cellule (César Vannetti). René Garnier, pour sa part, sera acquitté – il n’en continuera pas moins ses activités clandestines et rejoindra plus tard le maquis Jérôme.

Malgré les démarches de la municipalité chaumontaise, les condamnés ne seront pas graciés. L’aube du 18 mars sonne l’heure du départ des martyrs, que vient de visiter l’archiprêtre Desprez, curé de Chaumont.

André Tisserand, de Nogent, détenu depuis le 17 janvier 1914 au Val-Barizien, assiste à l’événement : « Un prisonnier décide de casser le carreau du judas de la porte pour les voir partir. Etant le plus ancien, mes camarades m’ont demandé de regarder et de leur commenter le comportement des condamnés. Je m’attendais à voir les condamnés avec des menottes, enchaînés. Non, ils marchaient, pas une larme, très droit. Je n’ai jamais trouvé les mots pour décrire ce que je voyais ; une dignité d’une grandeur indescriptible… Ils resteront pour moi des héros de la Liberté ».

Ce jour-là, tomberont sous les balles, le 18 mars 1944 :
. Georges Debernardi, 53 ans, de Chaumont,
. Luc et Roland Garnier, de Chaumont,
. André Jacquinod, 31 ans, de Chaumont,
. Marcel Lallemand, 31 ans, de Chaumont,
. Charles Noirot, 28 ans, de Chaumont,
. Louis Parrot, 30 ans, de Chaumont,
. Raymond Rougeaux, 26 ans, de Chaumont (arrêté dès la fin décembre 1943),
. Roger Sollier, 32 ans, de Chaumont,
. Jean Tamen, 33 ans, de Chaumont,
. René Zimberlin, 33 ans, de la Côte-d'Or.

Après la Libération, un hommage sera rendu, place de la Concorde, le 16 octobre 1944, aux martyrs de La Vendue. Leurs dépouilles sont alors ramenées au cimetière de Clamart puis, le 7 août 1959, transportées au cimetière national de Suippes.

Luc et Roland Garnier ont été faits membres de la Légion d’honneur à titre posthume. Leur nom a été donné au maquis installé en forêt de Mathons, près de Joinville.

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