lundi 12 avril 2010

Des Argonnais en forêt de Trois-Fontaines



Gabriel Trusgnach, une des victimes de la tragédie de Brassa (collection famille Trusgnach/club Mémoires 52)

Deuxième volet de notre étude sur les groupes de patriotes des alentours de Trois-Fontaines-l'Abbaye.


5 juin 1944. Ils sont dix, à la veille du débarquement de Normandie, à se regrouper le soir dans l’ancien moulin de Daucourt, près de Sainte-Menehould. Dix patriotes originaires de la cité ménéhildienne déterminés à passer rapidement à l’action – le maquis « Alsace » de Lucien Picq ne se constituera qu’en juillet.

En voici la liste (1) :
. Pierre David, alias Daouda, 25 ans, sergent d’active ayant servi dans les sables algériens, originaire de Sézanne ;
. Jacques Ferré, 20 ans, postier né à Louhans-Cuiseaux (Saône-et-Loire) ;
. Raymond Gaillet (Le Mataf), 28 ans, né à Saint-Florentin (Yonne). C’est un marin dont le père, conseiller municipal à Sainte-Menehould, a été grièvement blessé dans un bombardement ;
. Serge Lampin (Cobaye), 18 ans ;
. Raymond Picq (Bolchevick), 18 ans, fils du chef de gare de la cité ;
. Jacques Renard ( Jacky) ;
. Henri Royer ;
. Daniel Simon (Jim) ;
. Henri Tabournot (Riquet), 19 ans ;
. Gabriel Trusgnach, 19 ans, né à Imécourt (Ardennes), apprenti coiffeur qui avait été requis dans une usine de la région de Reims.

Doté d’armes de 1940 récupérées en forêts d’Argonne (un FM 24/29, six mousquetons MAS 36, des Lebel) et de cinq Sten, ce groupe passe la nuit du 5 au 6 juin 1944 à Daucourt, avant d’être transporté en camionnette par un garagiste ménéhildien. Sa destination : Coole, dans le Sud-ouest marnais.

Le 7 juin (2) au soir, il s’y installe sur une butte boisée, à 225 m d’altitude, où les hommes construisent des cahutes. Là, une demi-douzaine de volontaires de Vitry-le-François se joignent à eux, et c’est à cette période que la responsabilité du groupe est confiée à Henri Royer, avec Raymond Gaillet pour adjoint.

Aussitôt, les résistants engagent des actions de guérilla. Leurs cibles : les convois qui empruntent la nationale 4 toute proche. Serge Lampin se souviendra en particulier d’un véhicule allemand envoyé dans le fossé. Conséquence : le lendemain, l’occupant lance des patrouilles. Le groupe n’a d’autre choix que de quitter les lieux, par Soudé-Sainte-Croix et Maisons-en-Champagne. En chemin, il prend en charge un déserteur autrichien recueilli par un agriculteur, passe par Vanault-les-Dames, Heiltz-le-Maurupt et se fixe en forêt de Trois-Fontaines. Plus précisément à Brassa, le premier refuge des hommes de Camille Soudant, situé non loin du carrefour de la direction de Lisle-en-Rigault et du chemin des Hattons.

Serge Lampin situera cette implantation au 18 juin 1944, date confirmée par le « Rapport relatif aux actions militaires des FFI de Sermaize-les-Bains » rédigé par le capitaine Pierre Madru (3), qui note : « Prenons contact avec groupe mobile FTP arrivé dans la forêt de Trois-Fontaines sous commandement de Jim. Comité prend contact, prête deux FM, assure leur ravitaillement et demande leur appui pour les parachutages en leur donnant l’assurance que nous leur céderons quelques armes… »
Deux précisions : selon Serge Lampin, c’est Henri Royer, et non déjà Daniel Simon (Jim), qui assure le commandement du groupe ; et le jeune maquisard estime alors incorrecte l’appellation FTP, lui-même se réclamant du mouvement Ceux de la Résistance (CDLR)…

Pour ce petit maquis – dont les effectifs ne semblent alors pas excéder une trentaine d’hommes -, la maison forestière de Brassa constitue une base arrière tandis que ses hommes se livrent à des actions à travers le sud du département de la Marne.

Début juillet 1944, il recueille six Russes déclarant s’être évadés des mines de potasse d’Alsace et ayant pour chef le lieutenant (ou capitaine) Nicolas. Ces nouvelles recrues participent notamment au désarmement de gendarmes sur la nationale 3.

Lundi 17 juillet 1944, le maquis est en mission à Vanault-le-Chatel, lorsqu’un camion allemand conduit par un civil survient inopinément. Serge Lampin saute sur le marchepied et, par la fenêtre ouverte, colle son 7/65 contre la tête du passager avant, un sous-officier allemand. A l’intérieur du véhicule, Jacques Renard et Raymond Picq découvrent quatre soldats armés. Tous sont faits prisonniers. Le groupe reprend alors la route de Brassa avec ces captifs et leur véhicule, force un passage à Sermaize et fait halte à Cheminon. Dans ce village, où le conducteur civil (un Lorrain) est libéré – « c’était une erreur », estimera Serge Lampin – on se rappellera fort bien cette arrivée remarquée suscitant la curiosité de la population (4). Puis le maquis gagne Brassa, où les cinq prisonniers sont enfermés dans une pièce.

Mardi 18 juillet. Il est entre 6 h 30 et 7 h, se souviendra Serge Lampin, lorsque les maquisards sont surpris par une attaque ennemie. Quatre hommes – dont Renard et Tabournot – étaient alors partis en reconnaissance, tandis que Simon, Nicolas et David (avec le FM) exécutaient une mission. Tirs de mitrailleuse lourde, pluie de grenades : l’attaque est meurtrière. Serge Lampin gardera en mémoire la vision de son camarade Gabriel Trusgnach étendu par terre, une balle dans la tête ; de Raymond Gaillet fauché par une rafale au niveau des reins, alors qu’il sortait de la baraque ; de six ou sept Allemands gisant à terre ; lui-même est blessé d’une balle dans la cuisse…

Capturé, brutalisé, Cobaye se voit présenter une carte par « un capitaine du SD » puis, menotté, est conduit à pied jusqu’à Cheminon, où il voit huit camions et surtout « un civil, habitant du village, très proche des Allemands ». Pour Serge Lampin, comme pour un autre maquisard (rescapé), Max - lequel écrira : « On suppose que le garde des Eaux et forêts (…), un inconditionnel du « héros de Verdun », nous avait donnés » - le maquis a été victime d’une dénonciation.

Le soir, à 18 h, le maire de Trois-Fontaines-l’Abbaye, Léon Thévenet, et Georges Psaume, 36 ans, autre brigadier des Eaux et forêts, par ailleurs responsable du groupe local de résistants, dressent cinq actes de décès concernant des victimes « inconnues ». Ils correspondent à Gabriel Trusgnach, à l’adjudant-chef (ou lieutenant FTP) Raymond Gaillet, à Abel Voiselle (un Ménéhildien de 19 ans qui a rejoint le maquis vers le 8 juillet 1944), à Jacques Ferré et à un nommé André Chauveau, ou Chauvot, qui pourrait être domicilié à Paris mais qui ne sera pas formellement identifié. Un maquisard étranger, retrouvé grièvement blessé à la jambe dans une voiture, soigné chez Pierre Caye, sera pris en charge le soir par une ambulance dépêchée par la Kreiskommandantur de Vitry-le-François. Sans doute le déserteur autrichien évoqué par Serge Lampin et à propos duquel Odette Leclercq dira " on se doute de son sort"...
Les victimes seront inhumées le 20 juillet dans le cimetière communal en présence de la population (5). 

Les autres maquisards ont pu prendre la fuite, courant « comme des fous ». Odette Leclercq gardera le souvenir d’un jeune homme « à la voix lasse » frappant à sa porte vers 22 h, lui rapportant les événements – il certifie avoir tué trois Allemands, un avec un Lebel, deux avec un Mauser. Puis l’homme repart vers 2 h pour « essayer de rejoindre les copains à Cheminon ». Odette Leclercq est précise sur l’horaire : à cet instant, les Lancaster de la Royal Air Force bombardent la gare de Revigny-sur-Ornain (Meuse)…

Voilà donc le maquis cruellement éprouvé. Serge Lampin, torturé ensuite dans les locaux de la Gestapo à Châlons, sera déporté au Struthof. 

Notes :
1. Témoignages de Serge Lampin et Jacques Renard, qui ont donné une conférence sur le maquis de Trois-Fontaines le 31 août 2000, à l'invitation de Gérald Gaillet, responsable du Souvenir français dans le canton de Sermaize.
2. Deux jours plus tôt, une quarantaine de déportés s'évadaient d'un convoi ferroviaire entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François, notamment vers Coole. Lire à ce sujet l'ouvrage de Jean-Marie Chirol.
3. Communiqué par Suzanne Paris, de Sermaize.
4. Dans "1944-1994 : 50 ans après, Cheminon se souvient...", communiqué par Suzanne Paris.
5. Le rapport de gendarmerie évoque bien cinq morts et un blessé. La mairie de Trois-Fontaines a dressé cinq actes de décès. Selon Gérald Gaillet, délégué du Souvenir français, le Russe Illia Golobovitch et Pierre Collin sont également deux victimes du maquis.

2 commentaires:

  1. bonjour, je suis mlle Gaillet Ghislaine et aimerai savoir si il y a des photos de tous ces hommes? je suis intéressée par l'un d'entre eux, merci pour ce blog. cordialement Ghislaine

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  2. Bonjour. Il y a eu, en 2000, une exposition en mairie de Trois-Fontaines contenant plusieurs photos de ces hommes. Son initiateur s'appelle Gérald Gaillet, neveu d'un maquisard. Peut-être un de vos parents... Il conviendrait de le contacter (il réside dans la région de Vitry-le-François). Cordialement.

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